Euro 2016 : décryptage d’une mascotte

La mascotte de l’Euro 2016 est un petit garçon qui a failli s’appeler Driblou ou Goalix, mais qu’un vote populaire a préféré baptiser Super-Victor. Le site officiel de la compétition développe la mythologie du personnage : décryptage, pas à pas, du CV d’une mascotte.

“Qui suis-je ?”

“Je suis un enfant ordinaire, comme tous les autres !”
La syntaxe de la phrase prête à confusion : indique-t-on « comme tous les autres » pour appuyer l’adjectif « ordinaire », ou pour dire que tous les enfants sont ordinaires ? Le message, en tout cas, est clair : Victor pourrait être n’importe quel enfant. Enfin, presque :

“Je suis né dans un petit village en France. Mon père était un grand footballeur et depuis mon plus jeune âge, j’ai toujours adoré jouer au football avec mes amis.”
Comme on le verra au fil du texte, rien ici ne semble laissé au hasard : plutôt rat des champs que rat des villes, Victor véhicule l’authenticité du terroir. Il s’inscrit dans une tradition familiale illustre, son père ne se contentant pas d’être footeux : c’était un « grand footballeur », donc. Hérédité et authenticité sont quelque peu équilibrées par la mention des amis, premier pas vers l’évocation des notions de plaisir et de partage.

“ Je ne suis pas aussi bon que mon père l’était, mais j’essaie toujours de m’améliorer. Le plus important pour moi quand je joue au football, c’est de m’amuser et d’être correct avec mon adversaire ! ”
À cette déjà belle collection de valeurs, Victor ajoute humilité et goût de l’effort. On retrouve également l’aspect ludique de la pratique, saupoudré du proverbial fair-play, l’esprit sportif semblant se résumer ici à « être correct ».

Cette courte présentation de la mascotte nous donne déjà bien des informations. Défini par des idées fortes plus que par une personnalité bien à lui, le personnage semble voué à redorer le blason du football, réunissant valeurs familiales, amicales et sportives, sous le vernis insoupçonnable de son immaculée jeunesse. Une question demeure : pourquoi porte-t-il une cape ?

“Comment suis-je devenu un super-héros ? ”

“ […] j’ai découvert un coffre magique très ancien ! Comme je suis très curieux, j’ai décidé d’ouvrir le coffre et j’y ai trouvé trois choses formidables : une cape rouge ”
La fameuse cape est donc ce qui sépare Victor, marmot champêtre, de Super-Victor, mascotte tout-terrain. Rouge, comme celle de Superman et comme un tiers de sa tunique logiquement tricolore, la cape permet à Victor de se démarquer de l’ordinaire.

“des chaussures de foot flambant neuves …”
Par ailleurs, Adidas est en train de mettre en place un large programme d’approvisionnement en produits, en fournissant l’équipement du personnel, des officiels, des arbitres, des bénévoles et des ramasseurs de balles, lors de toutes les compétitions pour équipes nationales pendant la période de validité de son contrat. ” (dossier de presse UEFA EURO 2016) Les bottes de sept lieues de Victor sont des grolles « flambant neuves » – difficile de ne pas y voir un clin d’œil au partenaire n°1 de la compétition, un équipementier sportif.

“… et le ballon de l’UEFA EURO 2016 ! ”
Et d’un coup, d’un seul, l’événement dont Victor est la mascotte fait son entrée dans la narration. Super-Victor n’est pas un super-héros conventionnel : il peut faire des choses extraordinaires… mais seulement avec son propre ballon. Souhaitons-lui donc ne pas le loger chez le voisin, comme peut le faire un gamin ordinaire.

Le parcours de Victor peut sembler incomplet : comment, d’un coffre trouvé au hasard d’une balle perdue, est-il devenu la mascotte officielle de l’Euro 2016 ? Est-ce une question de destin, à l’image d’Arthur et d’Excalibur ? Super-Victor : Origins laisse pour l’instant quelques questions en suspens.

« Quels sont mes superpouvoirs ? » « Ma super cape rouge me permet de voler très haut dans le ciel et de faire le tour du monde à toute vitesse ! C’est génial, maintenant je peux aller jouer au football dans toute la France, et tout ça le même jour ! »

La cape, plus décorative que décisive, sert donc à voler. Bon. Notons qu’étant désormais capable de « faire le tour du monde », Victor choisit pourtant de jouer au football « dans toute la France » seulement.

« Mes chaussures de foot magiques me donnent de grands pouvoirs et je peux même inventer de nouveaux dribbles ! »
Ceci n’est plus un simple clin d’œil : l’histoire propose ici une franche corrélation entre chaussures neuves et performances sportives. L’inventivité balle au pied devient une fonction de l’équipement, pas du joueur : « sans maîtrise, la puissance n’est rien », ou la prise de pouvoir de l’outil sur le potentiel humain.

« J’aime rassembler les gens pour jouer au football. Le ballon de l’UEFA EURO 2016 n’oublie jamais personne pour un match ! C’est le pouvoir que je préfère, parce qu’on a toujours l’air de s’amuser quand on joue au football tous ensemble. »
Passons rapidement sur cette curieuse personnification d’un ballon qui « n’oublie personne », et intéressons-nous plutôt à l’accent mis sur la notion de partage. On a certes seulement « l’air » de s’amuser, mais on le fait tous ensemble : grâce à Victor (et au ballon UEFA EURO 2016), le sport redevient l’occasion d’une grande communion sans discrimination.

De belles chaussures de foot impliquent sans doute de grandes responsabilités : fort de son équipement et de son statut de mascotte, Super-Victor est investi d’une mission.

“Quelle est ma mission ?”

« En tant que mascotte officielle de l’UEFA EURO 2016, ma mission consiste à m’amuser avec les supporters du monde entier »
Bardé de valeurs plus exemplaires les unes que les autres, notre mascotte n’a finalement pour mission que de s’amuser. Travailleur, généreux et humble, c’est vrai que Victor a bien mérité un break.

« J’ai beaucoup de chance d’avoir reçu ces super-pouvoirs, mais je veux les partager avec le reste du monde.  C’est pour cela que je voyagerai dans toute la France et dans le monde entier, pour apporter de l’amusement et de la joie aux populations de tous les pays et de tous les milieux. »
On reconnaît encore Victor à son humilité, sa générosité, sa volonté de partage sans discrimination : mais insistons sur un glissement sémantique non négligeable. Parti pour « s’amuser avec » les gens, Super-Victor voit son rôle changer, devant à présent leur « apporter de la joie ». Membre parmi les autres d’un public acteur de son propre bonheur, la mascotte connaît une promotion qui crée une hiérarchie : l’Euro, par le truchement de Victor, donne du plaisir aux gens, qui n’ont plus qu’à consommer.

Cahier des charges sur pattes, Super-Victor fait le boulot : il humanise la compétition, lui donnant une image fun et accessible. Il parle aux petits garçons, par identification et déclinaison en coloriages ou fonds d’écran.L’exercice de conception d’une mascotte n’est pas aisé, comme tend à le prouver un historique dense en ratages. C’est une tâche d’équilibriste que de jongler entre ces exigences de consensualité, de dynamisme, d’exemplarité, et aspect ludique, potentiel de séduction, capacité à être identifiable. Sans oublier, bien sûr, le sport… et les partenaires.